Après 3 semaines d’attente et nombreuses péripéties, nous sommes le 1er Juillet et une fenêtre météo semble se présenter. 2 autres amis du pôle sont aussi sur la brèche : Pierre et Gervais. Quentin, lui aussi ministe et qui a deja fait son parcours, me donne un coup de main dans les derniers préparatifs.
Les sentiments se mélangent. De la peur mêlée à une véritable excitation d’aller voir ce qu’il se passe derrière l’horizon. Du vent est annoncé à partir de la pointe Bretagne, ce qui n’arrange en rien la quietude du départ.
Le départ est un super moment, une dizaine de copains du pôle me lancent en bobsleigh, un classique à La Rochelle. Le principe ? Courir sur le ponton à plusieurs afin de pousser le bateau le plus fort possible pour sortir des pontons. Me voila parti.
Nous sommes le 3 Juillet, Il est 20h30 et ca y’est, je suis lancé dans le grand bain, la première grande étape du projet : la qualification hors-course.
Quel bonheur de partir. La boule au ventre se dénoue presque instantanément. Je suis tellement heureux, j’en profite pour appeler ma famille et partager ce moment. C’est aussi grâce à eux que j’ai la chance d’être sur l’eau à ce moment là .
Le passage du pont de l’ile de Ré est la première des 3 marques de passage obligatoires durant ce parcours. Je fais donc une photo pour prouver mon passage puis attaque la remontée vers la pointe Bretonne.
Je suis à l’intérieur quand tout d’un coup, « BOUM ! »
Une batterie, mal fixée, est tombée arrachant tout sur son passage. Il est 22h30, je suis parti depuis 2h et je suis déjà avec le fer à souder dans le tunnel pour remettre tout en ordre, ça commence bien ! Tout ça remis dans l’ordre, j’attaque la remontée au près de nuit
Samedi matin 4 Juillet 9h.
15 noeuds, 20 noeuds, 25 noeuds, le vent commence à forcir. Je réduis alors la grand voile, je prend un ris et fait route vers Penmarc’h à une belle vitesse de 8 noeuds. Sur le bateau, plusieurs instruments m’aident à faire marcher le bateau dont une girouette et un anémomètre en tête de mat. Alors que je suis à la barre en train de suivre ces informations, je les vois impuissant disparaitre les unes après les autres. Plus rien. Me voilà bien, je suis parti depuis 12heures et je n’ai plus d’information de vent. J’ai souvent entendu dire que, lorsque l’on a un problème avec notre électronique, il fallait tout éteindre et rallumé. Je m’exécute donc, en vain.
Je décide alors d’aller me mettre à l’abri derrière l’ile d’Yeu afin d’essayer de résoudre le problème en rebranchant les câbles les uns après les autres. Toujours rien. La dernière solution est celle de monter en tête de mat pour voir si le problème vient de la haut. Il y’a alors trop de vent et de houle et l’opération me semble trop dangereuse. Après un petit coup de téléphone à Léo qui me re-motive, je reprend ma route sans information de vent. Ce facteur influence aussi la marche du bateau car je ne pourrai plus dire au pilote automatique de suivre un angle de vent mais simplement de garder un cap, pas idéal mais ça fonctionne. En repartant je croise plusieurs IMOCA qui attendent pour prendre le départ de la course Vendée – Arctique – Les Sables, chouette moment.
Le vent monte encore, la houle grossit, sacrée mise en bouche. Je n’arrive plus à manger ni à boire, c’est dur.
C’est au large de Belle Ile, vers 17h que j’arrive à capter pour prendre la météo. Les prévisions ont beaucoup évoluées et ce n’est plus du travers dans du vent modéré qui est annoncé mais du près dans du vent fort. Après échange avec mon entraineur je décide donc de rester prudent et de m’arrêter à Sainte-Marine afin de laisser passer la dépression.
Il est 23h quand j’entre dans le port dans un calme qui contraste avec la journée passée. Arrivée au ponton à la voile, j’attache mon bateau, vérifie la météo pour un éventuel départ le lendemain avant de m’endormir rapidement.
Dimanche 5 Juillet
Pas de fenêtre météo pour repartir avant le lundi matin, la journée commence par un grand rangement. Je profite du calme pour monter au mât afin de me rendre compte que l’anémomètre s’était simplement desserrée. Soulagement. Je répare mon réveil, lui aussi cassé par un coup de mousqueton la journée précédente.
Lundi 6 Juillet
C’est reparti ! Dès 8h je suis sur le pas de la porte de la capitainerie afin d’avoir un tampon attestant que je suis bien reparti. Les premières heures sont géniales, quel plaisir de naviguer dans son « jardin ». Il est 11h quand je passe la pointe de Penmarch et attaque la baie d’Audierne au près. Malgrès cette allure peu confortable , le moral est au beau fixe, il fait beau, les dauphins m’accompagnent. Je mets la musique à fond et chante du plus fort que je peux , tout va bien. Jusqu’au moment où…
A l’approche du Raz de sein, j’entame mon dernier virement de bord et son matossage, associé, autrement dit le passage de toutes les affaires d’un coté à l’autre du bateau pour faire contre poids C’est à ce moment que je me rends compte que la réparation efféctuée avant de partir a re-cassée. Coup de stress, le bateau se fissure. Dois-je m’arrêter ? Faire demi-tour pour être prêt pour la première course de la saison en Aout ? J’appelle alors le chantier IDB marine, où a été construit le bateau, qui me rassure, me conseille de coller ce qui se décolle et de bien surveiller. Ça devrait tenir.
J’arrive alors en approche de la rade de Brest et son passage redouté des marins, le chenal du four. C’est un passage où il y’a beaucoup de courant, il n’y a pas beaucoup de vent et je ne serai pas à l’heure pour passer avec la bonne marée. Je décide donc de mettre l’ancre dans l’anse de Bertheaume, au milieu des plaisanciers qui sont à l’apéritif, drôle de situation ! Après un bon repas et 2h de sommeil, je repars dans un calme plat, direction l’Angleterre !
Mardi 7 Juillet
La nuit est incroyable, je glisse doucement dans une petite brise de 6-7 noeuds. Entre les dizaines de phares qui balisent le passage et la pleine lune, le spectacle est magique. Malgré un petite frayeur de se refaire « aspirer » par le courant au petit jour, faute de vent, je parviens à m’extirper et entamer ma traversée de la manche. Je profite de ce moment de calme pour ranger le bateau, me faire un bon petit déjeuner et une bonne toilette avec la radio en fond sonore. J’ai d’ailleurs été impressionné durant cette qualification de la puissance de la radio tant il est agréable d’entendre des gens parler et couper quelques instants la discussion de ses pensées. Je me surprends même à écouter une émission sur la vision des animaux par notre société et le rôle que joue Dumbo ou Simba dans notre vie, jamais je n’aurais écouté ça à terre.
J’en profite aussi pour faire quelque chose d’obligatoire pour valider la qualif’ : le point sextant ! Sommairement, se repérer sur la planète grâce à la position du soleil. Le relevé n’est pas très compliqué, une seule chose à faire attention : garder les filtres pour regarder le soleil ! Je commence donc par garder tous les filtres mais je ne vois rien. Je les enlève alors un par un jusqu’au moment où… plus de filtre ! Ce qui me vaut une tache jaune pendant quelques minutes sur l’oeil… Je ne suis pas fier…
Plus la journée avance, plus le bateau accélère, 5, 7, 10 et même 12 noeuds, je suis sous gennaker avec un grand soleil, le rêve !
La partie moins fun reste les cargos, il y’en a partout ! Je compte jusqu’à 30 cargos dans un rayon de 40km autour de moi, c’est un véritable slalom qui s’engage.
C’est en fin de journée sous un soleil radieux que j’arrive à la pointe sud-ouest de l’Angleterre, Land’s end. Non je rigole, il pleut. Un hélicoptère de la marine anglaise me survole et me tourne autour, bizarre. Je continue malgré tout ma route, direction Coningbeg, bouée de passage obligatoire au sud de l’Irlande !
Le début de nuit est difficile, il y’a pas mal de vent et je dois passer entre le Dispositif de Separation de Traffc (DST), réservé aux cargos, et la côte. La vigilance est de mise.
Mercredi 8 Juillet
La montée vers Coningbeg suit son cours sous la grisaille. Vers 9h je reprends mon petit rituel : musique, petit-déjeuner, rangement et toilette. J’avance à 6 noeuds, les milles défilent et je commence à avoir hâte de faire demi-tour, synonyme de retour à la maison dans des mers plus hospitalières. Car même si les conditions météo sont clémentes, la réputation et l’ambiance qui règnent en mer d’Irlande ne donnent pas envie de s’attarder.
C’est alors que, 2heures avant de passer Coningbeg, le bateau ralentit brutalement avant de repartir. J’ai tapé quelque chose. Je sors en panique, suis-je sur les cailloux ? Y’a t’il quelque chose que je n’ai pas vu ? Après quelques secondes je comprends ce qu’il s’est passé, j’ai sans doute tapé un poisson-lune car j’en avais beaucoup croisé jusqu’alors. Tour du propriétaire de rigueur, tout va bien, je suis soulagé.
C’est à 15h15, dans 8-10 noeuds de vent que je passe Coningbeg. Quel soulagement et quelle fierté d’être arrivé jusqu’ici ! Le temps de prendre quelques photos et de les envoyer à terre, de recevoir quelques encouragements grâce à Léo qui gère la comm’ et me voilà reparti, direction la prochaine marque de parcours : le plateau de Rochebonne au large de La Rochelle !
C’est à 17h qu’une incroyable rencontre a lieu. Alors que je suis à la barre, je vois à quelques centaines de mètres du bateau quelque chose sauter, c’est une baleine ! Je décide alors de filmer au hasard afin de capter un éventuel saut quand tout d’un coup à 100m du bateau, elle jaillit de nouveau ! Incroyable ! Partagé entre la peur de lui rentrer dedans et la joie d’avoir eu la chance de voir ca, je lance mon portable et change de direction pour l’éviter, quel moment !
Jeudi 9 Juillet
La nuit du mercredi au jeudi n’est pas très agréable avec au programme beaucoup de vent, une mer « casse bateau » et un angle au vent assez fermé. Je ne barre pas bien et décide de laisser le pilote automatique faire le travail. C’est après quelques siestes que je me rends compte que je commence à fatiguer car je deviens reconnaissant envers le pilote, que j’humanise, pour le travail qu’il fait et sa capacité à bien barrer, c’est super bizarre !
Je passe alors les îles Scilly au petit jour, avec une mer calme et un petit rayon de soleil, ce qui me donne envie de revenir en croisière ! Débute alors la traversée de la manche retour, encore sous gennaker à plus de 10noeuds de moyenne, décidément les traversées de Manche sont express ! Après avoir croisé quelques cargos, c’est en début de soirée, accompagné par des dauphins, que j’arrive à Ouessant. J’affale alors le gennaker afin d’envoyer un soi et me rends compte que la drisse, corde qui tient la voile en tête de mat était prête à lâcher ! J’ai dû faire un tour en la hissant le matin, sous le coup de la fatigue. Je passe Ouessant sous spi avant de contourner l’ile de Sein, cap sur Penmarch !
Vendredi 10 Juillet
C’est alors que débute, probablement, la plus belle nuit de la qualif. Pleine lune, 20 noeuds de vent, musique à fond, la traversée de la baie d’Audierne est incroyable. Petite parenthèse, c’est assez incroyable le pouvoir de la musique en mer… Tu as beau être fatigué, mouillé et affamé, un petit Joe Dassin te redonne instantanément le sourire et te fait complètement changer d’état d’esprit ! Cette nuit est tellement incroyable que je ne veux pas dormir pour rester profiter. Mal m’en prend, c’est en arrivant à Penmarch à 8h du matin que j’ai le contre-coup. Le soucis c’est qu’il y’a des dizaines et dizaines de pêcheurs agglutinés à la pointe, j’ai jamais vu autant de bateaux au même endroit ! Impossible donc de dormir, je lutte.
Une fois sortie de cette zone difficile, je fais cap vers Rochebonne à 10 noeuds et en profite pour aller dormir.
La journée du vendredi se fera sous le soleil et sous spi, au top !
C’est en fin de journée que le stress monte un peu, l’arrivée se fait sentir, le vent monte et je sais qu’il me reste quelques manoeuvres avant d’arriver à La Rochelle, le lendemain matin. Je suis un peu fatigué et anticipe donc au maximum la suite, prise de ris, empannage je reste super concentré. Ça serait bête de casser si près du but. Pour ajouter un peu de piment, je découvre qu’une pièce au niveau de la bôme s’est tellement dévissée qu’elle est la limite de lâcher et de laisser tomber la bôme sur le pont. Je la resserre et la sécurise tant bien que mal. J’espère que ça tiendra.
Le dernier empannage se passe bien, je fais alors cap vers Rochebonne avec un superbe couché de soleil et Queen à fond, un moment de dingue ! Ok c’était pas Queen mais Céline Dion, un moment de dingue quand même.
C’est au passage de Rochebonne que je bats le record de vitesse du bateau, 20,4 noeuds (Environ 36km/h) enregistrés sur mon téléphone. Il est temps d’affaler le spi avant de faire des bêtises.
Avant dernière marque passée, prochaine étape l’arrivée ! Ça commence à sentir bon même si je sais que la nuit ne va pas être simple, 25 noeuds sont annoncés et ça sera du près… Je suis claqué et laisse le pilote barrer pour faire quelques siestes de 20 minutes. C’est à ce moment que je sens que mon cerveau commence à dérailler car j’ai l’impression de ne plus être sur mon bateau mais en train de convoyer celui de quelqu’un d’autre pour lui filer un coup de main. Je me dis même à plusieurs reprise qu’il y’a quelqu’un sur le pont pour barrer et régler les voiles et que je suis tranquille…
Samedi 11 Juillet.
Il y’a du vent, le bateau fait des grandes embardées et vire plusieurs fois tout seul. Je me retrouve alors couché avec les voiles « à contre », pas des situations très agréables. Je m’étais tellement mis en tête que je finirai ma qualif sous 1 ris Grand Voile et 1 ris solent que je ne veux pas en prendre un deuxième, la fatigue n’aidant en rien. J’aperçois alors le feu d’un immense bateau qui me fonce dessus et je ne le vois pas à l’AIS (radar de bord), ça me rend fou ! C’était une étoile. C’est seulement 2 heures plus tard que je me résous à réduire la grand voile, la bateau retrouve sa stabilité, pourquoi je ne l’ai pas fait plus tôt ?
Le vent molli, le soleil se lève et je commence à réaliser que je vais probablement boucler cette incroyable aventure. Je suis tellement heureux !
Une dame m’appelle alors à la VHF :
« Trompette Solo sailor, Trompette Solo sailor du sémaphore de Chassiron »
« Oui bonjour, ici Trompette je vous écoute »
« Bonjour Monsieur, d’ou venez vous, ou allez-vous et combien êtes-vous à bord ? »
Après un moment d’hésitation je lui répond :
« Je viens de La Rochelle, je vais à La Rochelle et je suis seul à bord… » Avant d’ajouter « Mais j’ai fait un petit détour par l’Irlande entre temps ! »
Après un petit temps d’attente elle répond :
« Super, passez une bonne journée et reposez vous bien ! »
Moment sympa pour un retour à la civilisation.
Quelques bords plus tard, je rentre dans le chenal de La Rochelle et croise les premiers bateaux qui partent passer le week-end sur l’eau, le contraste est assez amusant. Je rentre ensuite dans le port et aperçois Hélène et Rémi, 2 amis ministes qui m’avaient aidé à partir 7 jours plus tôt, me faire des grands signes. Je suis tellement heureux de les voir !
Ils m’aident à m’amarrer et m’accueillent avec un thé et des croissants, le meilleur petit-déjeuner de ma vie !
Ça y’est, après 7 jours, 11 heures et 20 minutes je suis arrivé. J’ai parcouru 1040 Milles et bouclé ma qualification hors-course, première grosse étape vers la Mini-transat. Le chemin est encore long mais je savoure pleinement ce pas de franchi.
S’en suivra une semaine de réveil en panique en pleine nuit, cherchant en vain la lampe frontale, pensant que je suis encore en bateau… Quelle aventure !
Romain
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